Pour vous donner un avant gout du roman "L'INDECISE" en voici un extrait :
Ce lundi-là, il neigeait fort à Mens, une petite bourgade du Nord de l’Isère. Les rues et les maisons s’étaient laissées envahir par le blanc, qui drapait de mystère les rues, les toits et les façades des maisons. Nous étions le 3 février 1944 et la France était toujours occupée par les Allemands.
Je finissais ma partie de billard avec deux collègues, en regardant d’un œil morne tomber la neige. Il y avait peu de clients ce jour-là au café « chez Dédé », bien que ce soit un jour « avec alcool ». Il faut dire qu’il était un peu plus de onze heures et que la plupart des Mensois vaquaient à leurs occupations. Je venais de gagner deux parties contre mes collègues et j’allais offrir une tournée à mes compagnons, lorsque Ferdinand SERAFIN, un jeune chef de main entré récemment dans la Milice, entra en me saluant militairement :
– Mes respects, chef
– Repos, tu bois un coup avec nous ?
Il accepta et nous nous assîmes tous les quatre à une table. Le patron nous amena des chopines de blanc. Après les banalités d’usages, Ferdinand me fit une révélation étonnante :
– Au fait, j’ai croisé votre épouse ce matin.
– Noémie ?
– Oui, elle sortait d’une maison de la place Paul BRACHET. Je crois qu’elle m’a reconnu et elle a paru gênée.
– Tu es sûr que c’était elle ?
– Certain… Je la vois presque tous les jours à la boulangerie MARIN… Je ne peux pas me tromper !
– Et elle ne t’a pas dit bonjour ?
– Non, chef… Ça m’a surpris d’ailleurs !
Je détournais la conversation en parlant d’autre chose avec mes hommes, mais cela m’intriguait. Pourquoi était-elle dehors à cette heure-ci ? Que faisait-elle à cet endroit ?
Ma compagne travaillait à la boulangerie MARIN depuis plusieurs années. Jolie brunette de trente-deux ans, je l’avais connue à l’école primaire et, nous ne nous étions jamais quittés depuis. De taille moyenne, très mince, elle avait de délicieuses fossettes lorsqu’elle riait. Excellente cuisinière, elle me préparait de bons petits plats, malgré les restrictions dues à l’occupation allemande. Après l’Armistice en 40, nous nous étions mariés et elle était entrée au service de monsieur MARIN, le boulanger, qui était son grand-oncle. Pour ma part, et comme je ne pouvais pas reprendre la ferme familiale qui revenait à mon frère aîné, j’avais enchaîné les petits boulots dans la région. Puis, j’étais rentré dans le Service d’Ordre Légionnaire (SOL) un peu par hasard, qui était devenu depuis la Milice. Après avoir rapidement gravi les échelons, j’étais devenu chef du détachement de Mens avec le grade de chef de meute (l’équivalent de lieutenant) et je commandais une dizaine d’hommes, sans compter les volontaires appelés parfois pour des missions ponctuelles.
– Au fait, nous n’avons pas rendu visite au café des Arts cette semaine, me demanda Martial VANDERBRUCK, un grand échalas de près de deux mètres qui me servait d’adjoint ?
– Non, tu as raison !
– On devrait le faire aujourd’hui, chef. Entre nous, ça sent le terroriste et le marché noir à plein nez.
Mes missions consistaient à arrêter les juifs et les résistants ; à envoyer les jeunes réfractaires au Service du Travail Obligatoire (S.T.O.) en Allemagne ; à traquer les juifs, les francs-maçons et les communistes et à monter des opérations contre les maquis qui, en ce début d’année 44, fleurissaient comme des perce-neige. Rien de très réjouissant, comme vous vous en doutez, mais j’obéissais aux ordres du maréchal. Or, le café des Arts était réputé pour être un repère de maquisards, notamment ceux du Trièves. Plusieurs descentes dans cet établissement n’avaient rien donné, mais je tenais bon, persuadé de les avoir un jour ou l’autre.
À cet instant, ce n’était pas ma préoccupation première. Mon épouse travaillait à la boulangerie toute la journée et elle n’avait rien à faire à la place Paul BRACHET. Peut-être me trompait-elle ? D’ailleurs, plusieurs signes avant-coureurs m’avaient mis la puce à l’oreille. Elle était bizarre depuis quelque temps et elle ne voulait plus faire l’amour. Comme les femmes savaient si bien le faire, elle trouvait des prétextes pour ne plus accomplir son devoir conjugal : la fatigue, des maux de tête, des douleurs au ventre… Je savais maintenant qu’elle avait quelqu’un d’autre ! De ce fait, notre vie de couple était des plus mornes et le fait de ne pas avoir d’enfant l’avait bien attristée !
La phrase de Ferdinand me revenait comme un leitmotiv aux oreilles « elle sortait d’une maison de la place Paul BRACHET. Je crois qu’elle m’a reconnu et elle a paru gênée ». Je n’oublierai jamais ce jour. Je venais de découvrir que ma femme avait un amant.
– Au fait, vous avez préparé votre discours pour ce soir, chef, demanda l’un de mes hommes en reposant son verre ?
– Pas vraiment, c’est surtout le maire qui va parler.
– Comment il est le nouveau capitaine SS à votre avis ?
– Sans doute comme les autres, répondis-je, autoritaire, fier de lui et arrogant.
Un nouvel officier nazi, le capitaine SPONTZ, venait d’être nommé dans la région et une petite fête était organisée par le maire de Mens, Patrick VANDEL,
pétainiste pur et dur. Il m’avait invité, afin de me présenter officiellement. Je devais faire bonne figure en lui assurant que la Milice était à ses côtés. Le nazi allait sans doute me demander
de l’aide pour pourchasser les terroristes et les juifs, ainsi que pour démanteler les maquis de la région. De la belle besogne en perspective. Cependant, je ne pensais pas vraiment à ce
problème, car je venais d’apprendre que j’étais cocu ...
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